La newsletter de Nesrine Slaoui, journaliste et écrivaine, de l'autre côté des dominations, depuis ces angles morts que les médias classiques ne voient pas.
La réponse est simple : j'ai besoin de vous pour rester indépendante et pour ne pas disparaître sous les algorithmes des réseaux sociaux. Dans cet article, je réponds aux questions que vous vous posez sûrement ; pourquoi un abonnement payant ? Pourquoi la lancer maintenant ? Quels types de formats ? Quelle fréquence ?
Depuis plusieurs années, sur insta, de nombreux.ses influenceurs.ses, créateurs.rices de contenus, dénoncent l'opacité de l'algorithme. La tendance s'est aggravée en 2020 avec l'arrivée des reels - à prononcer à l'américaine, selon une source officielle : riiiillllsss. Puis courant 2022, le dirigeant du réseau social, Adam Mosseri, a lui-mêmeannoncé un changement majeur : la primauté désormais accordée à la vidéo. Instagram n'est donc plus la plateforme de simple partage de photos que l'on a connue. Et si, moi, je trouve ça plutôt cool et innovant parce que j'aime monter mes propres contenus, les questions autour de l'algorithme demeurent.
S'émanciper des algorithmes
Le problème c'est que pour ceux.elles qui travaillent sur les réseaux sociaux, l'absence de communication autour des règles qui fondent les plateformes engendrent une grande incertitude.
Je vais vous donner un exemple ; prenons mon post sur Instagram le plus récent. Vous connaissez sûrement les règles basiques : il faut partager son contenu tôt le matin ou juste après le travail, en fin de journée, pour qu'il soit vu, lu, liké par un maximum d'abonné.e.s. Personnellement, j'applique peu cette règle parce que je préfère la spontanéité et que je me suis détachée des injonctions à la performance.
Donc revenons à ce post publié hier à 16h, le jeudi 27 octobre, pour rendre hommage à Zyed et Bounadécédés il y a 17 ans en voulant fuir un contrôle de police. Un post qui pour moi est important et fait partie des sujets qui méritent une grande visibilité et qui, je suis sûre, intéressent ma communauté. C'est un extrait de mon livre Illégitimes que j'ai posté. À l'heure où je vous écrit, en cliquant sur les statistiques du post, un nombre indique que l'algorithme ne l'a montré qu'à une petite partie de ma communauté : 17 881 comptes, précisément, sur 64 500 abonnées soit seulement 27,7%, disons le quart. Comprenez-moi bien, il ne s'agit pas de râler et de réclamer plus de célébrité, ce serait indécent pour des sujets aussi tragiques, simplement de constater que l'algorithme opère des choix et décide à qui montrer vos posts, ou pas.
On le sait aussi, selon les quelques informations transmises par la plateforme, le premier tri se fait en fonction des likes, des enregistrements et des partages : dans les premières minutes en fonction des interactions, insta décide de la portée de votre publication. Mais il y a certains sujets, ils sont très nombreux même, qui méritent d'être traités indépendamment du nombre de likes.
En 2020, dans un rapport inédit, le Défenseur des droits Jacques Toubon questionne la prétendue neutralité des algorithmes et craint « l'automatisation des discriminations ».
Selon les dires des entrepreneurs et CEO de la Silicon Valley - là où se trouvent les sièges des GAFAMqui dominent le marché numérique -, internet est neutre et fonctionne en dehors des dynamiques sociales : c'est faux. Un algorithme n'est pas neutre plus qu'il est créé par des humains, majoritairement des hommes blancs de la classe aisée, et reproduit donc les biais et les dominations des concernés. Je vous invite, par exemple, à lire les enquêtes de Judith Duportail sur Tinder qui révèlent comment l'application de rencontres s'appuie sur des logiques sexistes et favorise la mise en relation des hommes plus âgés avec des femmes jeunes, moins riches et moins diplômées à travers une « note de désirabilité ».
En 2020, le Défenseur des droits, Jacques Toubon lui-même alertait sur « l'automatisation des discriminations » via les algorithmes. Autrement dit, puisque nous vivons dans des sociétés racistes, sexistes, classistes, anti-LGBTQIA+, les algorithmes reproduisent cette violence là sur internet. Plusieurs militantes féministes accusent même Instagram de discriminations et ont saisi en 2021 la nouvelle Défenseure des droits, Claire Hédon, à ce sujet.
Elles affirment, dans uncommuniqué de presse, être victimes de shadow bans- le fait de devenir moins visibles sur le réseau social -, de censure abusive, et de cyberharcèlement en meute. Des mécanismes que je connais aussi malheureusement.
Cette question de visibilité des posts, des caprices de l'algorithme et du lynchage est réglée par cette newsletter ; vous la recevez tous.tes directement, ceux.elles qui sont abonnés, et je peux m'exprimer sans craindre d'être insultée. Nous pourrons échanger, ensuite, lors de rencontre ou dans un groupe WhatsApp dédié sur les sujets qui vous intéressent.
Être rémunérée
Il existe un autre problème majeur : ce que l'on produit sur Instagram n'est pas rémunéré. La seule manière d'être payée, pour l'instant, c'est de signer des partenariats avec des marques. Pour des raisons déontologiques, imposées par le métier de journaliste et mes propres valeurs morales, je ne peux pas tous les accepter. J'en ai seulement fait deux cette année : un post pour l'application de lecture de presse Cafeyn et une vidéo pour Bumble sur le mythe de « la femme qui fait peur aux hommes ».
Aujourd'hui donc, je ne vis pas d'Instagram alors que j'y produis tous mes contenus journalistiques puisque je ne suis pas présente sur les autres réseaux sociaux. Pas tout le monde en a conscience mais avant de poster une vidéo ou un texte complet, il faut des heures d'écriture, de tournage, de montage, de graphisme, de mixage sonore puis de community management pour gérer la diffusion. C'est le même travail pour cette newsletter et ça me plaît.
Quand j'étais reporter et présentatrice pour le média Loopsider, j'était (mal) rémunérée pour une partie de ce que je produisais et que je postais aussi sur ma propre page. Mais désormais, je suis journaliste indépendante et je ne travaille que partiellement pour des médias classiques. Une vraie question se pose pour ce métier à l'ère du numérique : comment gagner de l'argent et vivre de ses productions sur les réseaux sociaux ? Surtout qu'une grande partie de la profession méprise encore les « journalistes d'Internet »
Source : l’enquête menée par Cision et l’Université anglaise Canterbury Christ Church auprès de 357 journalistes français
Cette question de la rémunération est réglée avec la newsletter : l'abonnement basique à 5 euros par mois me permet de parler des sujets qui me passionnent, comme je le veux, et d'être soutenue par des lecteurs.rices que ça intéresse : vous. Je suis libre de vous écrire, tous les quinze jours, voire plus, aussi bien des enquêtes, des analyses, des interviews exclusives que des textes plus littéraires et vous êtes libres de me faire des retours dans un espace en petit comité.
Pour finir sur une anecdote qui appuie le propos de cet article : ma vidéo sur l'arab-fishing atteint presque le million de vues sur Insta. J'avais proposé ce sujet à plusieurs rédactions qui l'ont refusé. Malgré le succès du format, elle ne m'a rien rapporté financièrement alors que oui ; c'est du travail qui bénéficie à la plateforme mais pas à moi. Voilà pourquoi j'ai besoin de vous, de cette newsletter pour continuer à produire.
Nesrine Slaoui
Je vous écris depuis les marges. En tant que journaliste, en tant que femme arabe. Je vous écris comme j'ai écrit dans mon premier roman "Illégitimes" ses questions de société importantes mais sous-traitées.